Dossier Lumen n° 25
Posté le 8 Mars 2022
Plus qu’un dépassement de soi ouvert à tous, les Jeux paralympiques apportent une pierre importante à un édifice qui se construit depuis des années : la reconnaissance de la capacité au-delà du handicap. Modèle inspirant pour inciter les personnes en situation de handicap à pratiquer du sport, ils sont aussi, en agissant sur les représentations sociales, un vecteur de transformation de la société.
Ce qui est très fort ? Dans le village paralympique, vous croisez des personnes avec des handicaps très divers sur lesquels, malheureusement, dans nos rue, on se retournerait
“Là, on se contrefiche de la façon dont les athlètes déambulent, mangent, parlent… C’est un peu la société idéale : pendant quelques semaines, je vis dans un monde tel que je le rêve! ” Jean Minier est le Directeur des sports du Comité paralympique et sportif français (CPSF). Ce qui le fait vibrer, après pas moins de 13 participations aux paralympiques en tant que chef de mission, incluant celle aux Jeux paralympiques de Tokyo 2020 qui se sont déroulés du 24 août 2021 au 5 septembre 2021[1], c’est avant tout « cette parenthèse enchantée qui donne beaucoup d’espérance», parce qu’elle invite à «dépasser les apparences ».
Les athlètes, aveugles et malvoyants inclus, soulignent aussi cet «effacement » de leur handicap aux yeux des autres. « Ça gomme la différence, on est tous à égalité dans l’effort et les gens osent plus facilement nous aborder, car on vit la même chose», observe Annouck Curzillat, qui a décroché la médaille de bronze au triathlon avec sa guide Céline Bousrez. Même si évidemment, ils sont là avant tout, pour s’affronter lors de la compétition sportive la plus emblématique au monde. Et pour faire le plein d’émotions. « Les 300 derniers mètres, je n’ai plus conscience de mon corps, ma guide me crie d’aller plus vite, là, s’opère un vrai dépassement de soi. Après la première décharge émotionnelle, j’apprends que je suis passée devant Alison Peasgood que je n’ai jamais battue jusque-là, et là c’est le raz-de-marée! », se souvient ainsi Annouck.
Inspirer
«Émotion énorme» aussi pour le cycliste double médaillé Alexandre Lloveras, lorsqu’il comprend, après avoir franchi
la ligne, qu’il a décroché l’or en contrela-montre avec son pilote Corentin Ermenault [2]. Suivie ensuite d’un «moment
inoubliable» lorsque sera jouée la Marseillaise sur le podium. Pourtant, son parcours n’a pas été exempt de difficultés.
Passé d’abord par l’athlétisme, il aura vu la « lumière s’éteindre» durant 2 ans et demi, à cause d’une blessure au pied, avant de la voir « se rallumer » lorsqu’il se découvrira davantage de prédispositions pour le cyclisme.
Mêmes émotions pour Timothée Adolphe qui, lui, n’en est pas à ses premiers Jeux. Avec son guide Bruno Naprix, il a remporté la médaille d’argent sur 100 m T11, en courant en 10”90, son meilleur temps. Pour cet athlète de 31 ans, qui se souvient avoir pris des claques parfois «violentes » dans sa carrière, des portes de clubs fermées au nez parce qu’ils avaient «autre chose à faire que de s’occuper d’un aveugle», ou à Rio quand il est disqualifié au 400 m après un appui intérieur sur la ligne et à Tokyo lorsque le lien avec son guide se défait avant la ligne d’arrivée, décrocher l’argent c’est « l’aboutissement de 10 ans de travail et un grand moment d’émotion, très très fort ». Le message qu’il aime aujourd’hui transmettre aux autres ? «Tout est possible, même s’il peut y avoir des désillusions, comme sur tout chemin. Et si on peut inspirer des jeunes, même un seul, c’est une réussite. »
Un sujet reconnu pour ses capacités et non plus désigné par ses “manques”
Montrer que tout le monde peut faire du sport est l’un des messages que faire du sport est l’un des messages que tous les athlètes et ceux qui gravitent autour du monde du handicap aiment en effet faire passer alors qu’aujourd’hui 48 % des personnes en situation de handicap ne pratiquent pas d’activités physiques et sportives[3]. Car les bénéfices qu’ils perçoivent dans la pratique vont au delà de ceux régulièrement mis en avant (lutte contre les effets de la sédentarité et les risques accrus d’obésité qui en découlent, amélioration de la mobilité, meilleure perception de son corps…). « C’est d’abord un vecteur de développement personnel », explique le chercheur Jean-Pierre Garel de l’université de Bordeaux, ancien professeur d’EPS et formateur de l’INSHEA (Institut national supérieur de formation et de recherche pour l’éducation des jeunes handicapés et les enseignements adaptés). « La pratique permet un développement des ressources qui débouche sur l’autonomie et concourt donc à l’inclusion. Et aussi au développement de la participation sociale, car le sport permet d’être intégré et reconnu dans un groupe de pairs ».
Quant au sport de haut niveau, il permet de démultiplier ces bénéfices. «Si chaque individu a besoin d’être reconnu, quand il peut l’être à un niveau d’excellence, le bénéfice est immense! Car il est reconnu en tant que sujet capable de, pour des capacités extraordinaires, alors que souvent il est plutôt désigné par ses “manques”. Ce à quoi s’ajoute une véritable ouverture sur le monde. » Encourager la pratique dès le plus jeune âge apparaît donc indispensable aussi pour ce chercheur, mais en évitant «un travers », celui qui consisterait à faire penser que tout le monde peut accomplir ces performances exceptionnelles, car « tout le monde n’est pas un super héros, et c’est valable aussi pour les valides ».
Le sport permet d’être intégré et reconnu dans un groupe de pairs
Quand les jeux agissent sur les représentations sociales
Les Jeux ont une autre vertu, celle d’agir « sur les représentations sociales » et donc de « faire évoluer la société», comme le souligne Jean Minier. Mais à condition qu’ils soient visibles. À ce titre, les fédérations sportives dédiées aux
handicaps — la Fédération française handisport, la Fédération nationale des sourds de France et la Fédération des sports adaptés [4] — ont joué un rôle moteur : elles ont non seulement « structuré le sport dans un contexte de lutte et de revendication, car personne ne s’intéressait au départ à cette cause», mais aussi contribué à donner naissance au Comité paralympique et sportif français (CPSF). Celui-ci compte aujourd’hui, parmi ses missions, celle d’essayer de faciliter la rencontre entre une offre de pratique (les clubs) et les pratiquants «qui ne savent pas eux-mêmes qu’ils sont accessibles pour eux », de «mettre en lien les grandes associations représentatives, les professionnels du handicap, les médias… pour que le sport soit facilité partout » ou encore celle de «mener des opérations pour détecter des talents ».
L’impulsion est aussi venue « d’en haut » : après avoir notamment invité à ce que le sport de haut niveau, avec les athlètes handicapés, soit développé par les fédérations sportives et non par celles dédiées au handicap, le ministère des Sports franchissait un cap de plus en 2021, en décidant de créer une équipe de France «unifiée», englobant désormais les sportifs olympiques et paralympiques concourant sous la même tenue et le même emblème.
Le pouvoir de la médiatisation
Enfin, la médiatisation des Jeux joue évidemment son rôle dans ce changement de regard de la société. Ce à quoi œuvre le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) depuis quelques années, face à une très forte sous-représentation dans les programmes de télévision des personnes en situation de handicap (0,9 % dans les programmes et retransmissions sportifs)[5]. Pour ces Jeux notamment, le CSA a incité les médias audiovisuels français à intégrer davantage de retransmissions sportives, ainsi que des sujets, émissions et interviews consacrés au parasport et aux acteurs du monde du handicap. Il a organisé, en partenariat avec le ministère chargé des Sports, le secrétariat d’État
chargé des Personnes handicapées et le CPSF, l’opération « Jouons Ensemble », du 17 au 23 mai 2021, destinée à valoriser les parcours inspirants des athlètes du parasport. De son côté, l’État a créé un fonds de soutien, géré par l’Agence nationale du Sport, pour financer une partie des coûts de production d’événements et de reportages.
Cette année, même si on est encore loin de la diffusion des JO (France Télévisions a proposé 3 600 h de diffusion et jusqu’à 30 directs en simultané), les paralympiques disposaient néanmoins d’un peu plus de 100 h d’antenne, dont huit heures de direct. Des programmes de la chaîne L’Équipe ont complété ces temps, alors que d’autres diffusaient des
portraits d’athlètes en amont et pendant les Jeux (NRJ 12, Chérie 25 et Franceinfo pour sa série Incassables). Et l’audience télévisée, replay compris, augmente depuis une dizaine d’années, même si elle reste inférieure à celle des JO (qui comptabilisent autour de 50 millions de spectateurs à chaque fois) : de 7,9 millions de spectateurs en France pour les Jeux paralympiques de Pékin en 2008, ils sont ainsi passés à 16,4 millions aux Jeux de Londres en 2012, puis à 28,7 millions de spectateurs pour Rio en 2016, et autant pour Tokyo (28,8).
- [1] – Suite au report dû à la pandémie Covid-19
- [2] – A laquelle s’ajoutera le bronze en cours en ligne catégorie B
- [3] – INJEP 2018
- [4] – La première est dédiée aux handicaps physiques et sensoriels, la seconde au handicap auditif et la troisième aux handicap mental ou psychique.
- [5] – Source CSA (baromètre de la diversité de la société française)
Un peu d’histoire
Le nom Jeux paralympiques est apparu en 1988 et les premiers Jeux ont eu lieu à Rome en 1960. Mais la première initiative remonte à 1948, lorsqu’un médecin juif-allemand exilé en Angleterre, Ludwig Guttman, a organisé une compétition sportive pour les blessés de guerre de son hôpital, à Stoke Mandeville.
Il existe 22 sports différents, deux fois moins qu’aux JO, mais il y a plus d’épreuves.
Trois catégories de handicaps sont représentées : les handicaps physiques, mentaux ou psychiques, et déficients visuels. Les malentendants ont leur propre compétition, les Deaflympics.
Chaque athlète est classé dans une catégorie, composée d’une lettre et de deux chiffres. La lettre correspond à la discipline (T pour « track», les courses en athlétisme, S pour « swimming », la natation…). Le premier chiffre indique le type de handicap, le second son degré de gravité. Plus celui-ci est bas, plus le handicap est important. Cette classification vise à garantir que les athlètes concourant dans une même catégorie ont des aptitudes fonctionnelles identiques ou similaires.
Toujours plus haut
Avec 54 médailles décrochées par la Délégation paralympique française aux Jeux de Tokyo (11 d’or, 15 d’argent et 28 de bronze), la France dépasse l’objectif qu’elle s’était fixé, 35 médailles, le record des Jeux de Pékin en 2008 (52 médailles) et rafle 17 médailles de plus qu’à Rio de Janeiro en 2016.
Elle ramène également plus de médailles d’or qu’à Rio (9) et Londres (8) et compte 3 fois plus d’athlètes, au moins double médaillés, qu’à Rio (12 multimédaillés contre 5 en 2016).
En revanche, elle termine à la 14e place du classement général des nations contre la 12e à Rio.
Un soutien en progression mais peut mieux faire
L’évolution du soutien direct ou indirect au parasport de haut niveau est belle et bien réelle. Mais des progrès restent à faire. Surtout du point de vue des sportifs pour lesquels ces avancées ne se font pas forcément à leur rythme ou en fonction de leurs besoins individuels.
Le mouvement est en marche depuis le début des années 90. Aujourd’hui, outre l’augmentation sensible des fonds donnés aux Fédérations pour le parasport via l’Agence nationale du sport, les sportifs handicapés ont droit aux mêmes aides de l’État que les valides : prise en charge d’une partie du salaire versé directement à l’employeur en contrepartie d’aménagements d’emploi, aides aux projets sportifs et de formation, primes à la performance, remboursement de frais, primes aux médaillés (65000 euros pour l’or, 25000 pour l’argent et 15000 pour le bronze)…
Co-construite avec le secrétariat d’État chargé des Personnes handicapées, le CPSF et les acteurs du mouvement sportif et du handicap, la Stratégie Nationale Sport et Handicaps 2020-2024 du ministère chargé des Sports confirme également cet engagement vis-à-vis du parasport de haut niveau, en plus de prévoir des mesures pour tout l’écosystème du sport (offre de pratique, environnement social, accessibilité, formation, encadrement, transports…).
Le Projet de Loi de Finances 2022 prévoit aussi des crédits supplémentaires qui seront investis pour partie dans les équipements dédiés aux Jeux olympiques et paralympiques de 2024, mais aussi en faveur de la haute performance : plus de moyens pour les centres de ressources et d’expertise dédiés à la formation de l’élite sportive de la Nation et à la formation professionnelle et du développement de la pratique sportive pour tous, notamment les CREPS et l’INSEP (Institut national du sport, de l’expertise et de la performance), centre d’entraînement et de préparation olympique et paralympique pour les équipes de France…
Des soutiens à revoir en fonction des handicaps et des disciplines ?
Enfin, de plus en plus de collectivités s’engagent aussi, alors que le sport ne fait pas partie de leur compétence. Le Département de Haute-Garonne, par exemple, porte une politique volontariste, y compris en direction des sportifs en offrant des bourses pour les jeunes espoirs en fonction de critères sportifs et sociaux, des bourses pour des «ambassadeurs » et des bourses pour ceux qui sont sélectionnés aux Jeux.
On peut encore faire mieux. Le directeur des sports du CPSF plaide pour un «engagement de manière individuelle» afin de tenir compte des besoins différents, selon le handicap et la discipline. Par exemple, certains déficients visuels dans des sports comme la course, le cyclisme, le triathlon ont besoin de recourir à des guides ou des pilotes, ce qui a un coût. Le coureur Timothée Adolphe aimerait bien d’ailleurs que les fédérations puissent un jour salarier ces guides.
Par Camille Pons