Dossier Lumen n° 31
Posté le 22 Septembre 2023
LE SPORT POUR NE PLUS SE SENTIR LIMITE
Au-delà des bienfaits pour la santé physique et mentale, le sport a d’immenses vertus, dont celles de développer l’estime de soi et de contribuer à créer du lien social. Les personnes aveugles et mal voyantes peuvent pratiquer de nombreuses activités sportives, seules ou accompagnées, en club ordinaire ou adapté.
« Pour moi, cela a clairement joué un rôle en matière d’inclusion ! » annonce Ludovic Petitdemange, malvoyant depuis l’enfance, athlète handisport de haut niveau1, fondateur et président de l’association A2CMieux.
Quand on parle de sport, on pense d’abord à tous les bienfaits physiques et mentaux, valables pour tous, les valides comme les personnes handicapées. L’activité physique contribue au bon fonctionnement cardiaque, intestinal, respiratoire, musculaire, renforce le squelette, contribue à lutter contre le surpoids, favorise la concentration et c’est une source de bien-être, puisque le corps sécrète des endorphines, l’hormone du plaisir.
S’OUVRIR AUX AUTRES
Le sport a de nombreuses autres vertus, dont celles de favoriser le lien social et l’inclusion si on encourage la pratique en mixité avec les valides, comme le souligne Ludovic Petitdemange. Des dimensions d’autant plus importantes que ce public déficient visuel a souvent tendance à se replier sur lui-même. En créant A2C Mieux fin 2018 après avoir réalisé le triathlon de Chantilly en 2017 en duo avec un ami voyant, Ludovic Petitdemange visait cet objectif. Mais aussi, celui d’élargir l’horizon des possibles pour les personnes porteuses d’un handicap visuel. « J’étais dans une association mais on ne faisait que du tandem.
Je voulais faire partager à d’autres cette expérience qui mêle trois sports, natation en eaux vives, vélo en tandem et course à pied, et en duo non-voyant — voyant, ce qui permet de créer des passerelles entre les deux mondes », aime-t-il raconter.
POUR LES VOYANTS : DONNER UN SENS À LEUR PRATIQUE
La principale vocation de l’association consiste à accompagner les clubs sportifs à l’accueil de personnes malvoyantes et aveugles en créant des binômes pour guider ces derniers et en mettant en place des séances d’entraînement en commun. « Les leviers d’intégration sont énormes ! Des rencontres se créent et on sensibilise les clubs valides au handicap », observe le Président de l’association qui compte d’ores et déjà cinq grands partenaires dont l’Unadev, l’INJA, l’AVH Paris et le club français de triathlon. « C’est également bien pour remettre des valeurs de solidarité dans des sports souvent individuels. Ce sont surtout des rencontres humaines, extrêmement bénéfiques aussi pour les bénévoles voyants, car cela permet de donner un sens à leur pratique. »
Athar Ahmed, jeune homme de 20 ans qui pratique au sein de cette association, l’a également constaté : « Pour les personnes non voyantes, qui sont souvent à l’école ou en institut loin de chez eux et qui ne connaissent pas grand monde, c’est une occasion de partager des choses avec des gens de tout âge et même de nouer des liens d’amitié. On parle beaucoup d’inclusion, mais c’est aussi à nous d’aller vers le monde des voyants. »
Des observations qui vont dans le même sens que celles qu’a déjà pu faire Jean- Pierre Garel, chercheur associé à l’université de Bordeaux2, dont le travail porte essentiellement sur la scolarisation et l’inclusion sociale des personnes en situation de handicap, au prisme d’une pratique.
Dans un article publié en 2022 sur l’initiative de l’Union nationale du sport scolaire (UNSS) « Le Sport partagé », qui met la mixité au coeur de la pratique, garçons/ filles et valides/handicapés (lire l’encadré), il constatait « qu’une activité partagée qui se prolonge dans le temps (…) a un meilleur pouvoir inclusif que des actions ponctuelles de sensibilisation au handicap, limitées à une journée ou quelques heures, ou que des compétitions sans véritable préparation ni prolongement, sans des entraînements en commun ».
Le sport est aussi pourvoyeur d’autres bienfaits. Il contribue à la construction du schéma corporel et à améliorer la locomotion : « en faisant du sport, les jeunes deviennent plus autonomes », observe encore le président d’A2CMieux « ils acquièrent une meilleure représentation de leur corps dans l’espace, prennent conscience de ce qui les entoure. »
C’est également un moyen d’aiguiser les autres sens utiles au quotidien, l’ouïe ou les sensations kinesthésiques, permettant d’améliorer la coordination et le déplacement du corps dans l’espace.
Des sens particulièrement utiles à certaines pratiques où personnes aveugles et malvoyantes peuvent d’ailleurs exceller, comme la voile. Olivier Ducruix, malvoyant depuis l’enfance, en a fait l’expérience et l’a fait partager pendant cinq années dans le cadre du projet cécivoile, monté en partenariat avec la Fédération Française de Voile et soutenu par l’Unadev . « Je n’aimais pas la mer quand j’étais petit, mais un jour j’ai vu à la télévision Éric Tabarly qui venait de gagner sa deuxième transat à voile et ça m’a fait rêver », aime-t-il raconter. « Dès que j’en ai eu l’occasion, j’ai fait de la voile, et ce durant 20 ans avec des copains. Mais j’ai eu envie d’aller plus loin et j’ai découvert en 2008 l’association Orion où j’ai rencontré Mathieu [Simonnet, moniteur de voile, enseignant-chercheur spécialisé sur la représentation spatiale des marins non-voyants et fondateur d’Orion, NDLR] et avec lui, j’ai appris plus qu’en 20 ans ! J’ai découvert que non seulement j’aimais la voile, mais qu’en plus je pouvais réaliser plein de choses ! »
LA VOILE : UN SPORT ADAPTÉ À LA DÉFICIENCE VISUELLE
C’est donc avec Mathieu et Marine Clogenson, voileuse chargée de développement informatique chez GraniteApps et co-fondatrice de l’association Orion, qu’ils porteront le projet cécivoile avec un objectif : que toute personne aveugle ou malvoyante puisse découvrir la voile n’importe où en France. Pourquoi ce désir de faire partager cette pratique que l’on pourrait croire inadaptée aux personnes souffrant d’un handicap visuel ? « Parce que ce sport est complètement adapté à la déficience visuelle », répond le navigateur « car on utilise d’autres repères que visuels, plutôt des sensations : le vent dans le visage, l’équilibre du bateau, les écoulements d’eau sur celui-ci, le bruit des voiles… dont on peut déduire beaucoup de choses, comme la vitesse, le sens du vent, etc. Sans les yeux, on peut faire plein de choses sur un bateau ! »
SE DÉPASSER ET DÉVELOPPER LA CONFIANCE EN SOI
Faire de la voile est aussi une occasion de se dépasser, une autre vertu que l’on attribue également au sport. En prenant peu à peu conscience de ses capacités, le sportif va chercher davantage la performance, gagner en confiance et en estime de soi. Ce qu’observait aussi Jean-Pierre Garel dans un article scientifique publié en 2020 concernant la pratique d’enfants à l’école : « le désir d’éprouver et de partager des émotions, de s’éprouver, d’acquérir des pouvoirs d’agir qui participent à l’accomplissement personnel, de reconnaître et de voir reconnues ses capacités ainsi que d’être affilié au groupe de pairs peut favoriser l’engagement de l’élève dans cette discipline et le mener à un niveau de réussite quelquefois insoupçonnable. »
Effets dont témoigne aussi Athar, qui partage sa semaine entre les entraînements de cécifoot, le triathlon et s’est lancé pour défi de rallier en tandem le Mont-Blanc depuis Paris : « Quand je suis sur un terrain, je me sens libre, d’autant que je ne suis pas “accroché” à quelqu’un. Là, je ne suis pas un handicapé, je suis un athlète ! »
SE DONNER LES MOYENS DE RENDRE ACCESSIBLES LES SPORTS
Les associations et éducateurs sportifs qui ont su rendre accessibles ces pratiques à ces publics sont riches de belles histoires.
« La plus belle récompense » pour Olivier Ducruix ? Quand ceux qui se sont lancés dans cette aventure viennent lui dire que ça a « changé leur vie ». « Ils ont découvert cette liberté, qu’ils avaient la capacité de faire plein de choses et derrière c’est l’épanouissement ! »
L’éducatrice sportive de l’Unadev de Pau, Cécile Lacroix-Leclerc, se réjouit de son côté que ses bénéficiaires « se rendent compte ainsi que finalement, ce n’est pas parce qu’ils ne voient plus qu’ils ne sont plus bons à rien ». Celle-ci a développé pour eux de nombreuses activités régulières (Pilate, Borkwa, danse contemporaine, comédie musicale, randonnée ou marche urbaine, voile…) et n’hésite pas à leur lancer des challenges comme un périple de 57 km sur trois jours.
Reste que « les choses n’arrivent pas toutes seules », observe encore Olivier Ducruix. « Il faut des moyens humains et financiers pour développer un projet. La sensibilisation et la formation sont essentielles pour déployer davantage le sport adapté. La recherche et le développement expérimental sont également indispensables pour créer des outils de compensation. »
Par Camille Pons
1 — Il a évolué en équipe de France de cécifoot et a terminé 2e aux championnats d’Europe Espoir du 400 m handisport à 17 ans.
2 — Équipe ERCEP3 du LACES-EA 7437.
3 — Projet qui continue sous le pilotage de Céline Choulet.
SARA Nav est une application annonçant vocalement des informations de navigation, couplée à une girouette tactile et une ceinture connectée en bluetooth.
Les adaptations ne relèvent pas seulement de l’innovation technologique : utiliser des bouts de scotch collés sur des cordes pour donner des repères ou encore s’attacher à donner des indications orales précises pour décrire les gestes, les postures que l’on ne peut pas montrer sont autant de bonnes idées, faciles à mettre en œuvre, pour favoriser l’accessibilité de nombreux sports.
PARALYMPIQUES 2024 Donner à voir pour changer le regard
Les Jeux Paralympiques de Paris seront les plus médiatisés de l’Histoire en France avec plus de 300 heures d’images programmées sur les antennes de France Télévisions, le diffuseur officiel. La toute première retransmission de ces derniers avait été « inaugurée » à l’occasion des Jeux de Londres en 2012 mais exclusivement sur internet. Les Jeux suivants (Rio en 2016 et Tokyo en 2021) ont bénéficié de leur côté de 100 heures de direct, cette fois-ci sur les chaînes de télévision. 2024 marquera donc une avancée considérable en la matière. Pourquoi est-ce important ? Parce que les sportifs contribuent par leurs efforts, leurs performances et leur réussite à changer le regard des autres, laissant place du côté des valides, non plus à de la compassion, mais à de l’admiration et suscitant du côté de leurs homologues de nouvelles vocations sportives. Les impacts sont multiples : sur l’inclusion puisque cela contribue à rapprocher les deux mondes valides/handicapés ; sur les progrès réalisés ou à faire en matière d’accessibilité ; sur la motivation des personnes porteuses d’un handicap à se lancer dans la pratique sportive. Le groupe L’Équipe a également prévu de contribuer à la médiatisation de l’événement aux côtés de France Télévision. Pour s’y préparer, il a prévu dès le mois de juillet 2023, une couverture de l’intégralité des Championnats du monde de para athlétisme : dans le journal et sur internet. Avec une approche pédagogique intéressante puisque les présentateurs et commentateurs seront épaulés en plateau par des para-athlètes, dont Assia El Hannouni, porteuse d’un handicap visuel.
SPORT PARTAGÉ, l’exemple réussi de l’UNSS
Dans un article publié en 2022 dans la revue Contrepied, « Le Sport partagé, une formule inclusive », Jean-Pierre Garel fait un état des lieux du « Sport partagé », programme que porte l’UNSS avec la Fédération Française Handisport et la Fédération Française de Sport Adapté. Ce programme permet aux élèves valides et aux élèves en situation de handicap scolarisés de pratiquer ensemble. Une cinquantaine de sports sont actuellement proposés dont une trentaine peuvent être pratiqués jusqu’au championnat de France. Pour réussir à faire vivre cette mixité, un travail a été mené pour classifier les élèves en différentes catégories selon leurs capacités et les activités sportives visées. Des points de compensation, des aménagements de l’espace d’action, et des règles aménagées de l’activité sont ensuite prévus pour assurer une mixité optimale. En 2021-2022, on dénombrait 161 établissements spécialisés affiliés à l’UNSS et 580 associations sportives pratiquant le Sport Partagé. Pour le chercheur, cette adhésion semble bien indiquer « que des élèves “handicapés” y trouvent du plaisir et du sens » et que « leur possible vulnérabilité ne les assigne donc pas à des activités rééducatives ou réduites au “sport santé” ».
Plus d’info sur unss.org/sport-partage